Jeux à la con : 7

Publié le par Lessaim


La malchance dont elle était affublée depuis sa naissance était de celle qui vous colle aux poêles au point de faire passer les morpions pour des savonnettes. Le « pas de bol » intégral en mouvement si perpétuel que ça en devient louche.

Mais d’un coup, tout lui paru si dérisoire ce jour du 14 juillet 1950, que pour la première fois de sa vie, elle souriait vraiment.


Certes, avant d’en arriver à cette béatitude aussi soudaine qu’inattendue, il avait fallu en ravaler des fiertés et traîner des casseroles.


Elle se rappelait : c’était il n’y a pas si longtemps, elle venait d’avoir 17 ans lorsque la dernière invasion de la France par l’Allemagne se fît autrement que par des touristes bedonnants. Fille adoptive de Gilles, un boulanger et de Lucette, une couturière de Sedan, passage obligé de toutes les invasions teutonnes, son enfance avait été imprégnée d’histoires d’effrayants fridolins tirant au vert de gris et accessoirement au Lüger. Ils déboulaient invariablement de la droite avec une régularité métronomique. Cette fois, par fourberie, ils étaient venus de l’ extrême-droite.


Elle n’avait pas l’impression de traverser une guerre mondiale, car tout était allé très vite. Tout juste ses amis d’enfance Gilbert et Gaston s’ inquiétaient ils de ces trains qui partaient vers Strasbourg. Elle aurait même pu jurer que s’était installée une certaine torpeur sur la ville.


Ce qu’ elle n’avait pas prévu, c’est qu’ elle tomberait amoureuse. L’imprévu portait beau simultanément l’uniforme et le prénom de Gunther. Il avait la prestance et l’assurance d’un vainqueur, allemand de surcroît (donc il avait triché, c'est sûr). Il fût le 1er à lui visiter l’ outre-rein.


La passion du cri dura sept mois et ne fut interrompue, fort peu civilement d’ailleurs, que par le départ subit de Gunther vers l’Argentine et la volonté farouche des ex-collabos devenus des héros au jugement impartial et aux ciseaux fébriles, de collectionner le scalp des plus faibles afin de faire oublier leurs propres turpitudes. Elle sortit donc de cette guerre la tête basse et rasée, mais le ventre plein, sans plus savoir quoi panzer.


L’accouchement des jumeaux Gaspard et Gérard dura 32 heures et elle dût se servir de couverts à salade en guise de forceps. Devant l’obligation alimentaire prévue par le Code Civil et la répudiation de ses parents, elle ne pu trouver qu’un job de barmaid offert par Gaetan, un ostréiculteur de Saint-Malo reconverti en maquereau, en échange de menus prélèvements hebdomadaire et buccaux.

 Humiliation incarnée, elle avait appris à vivre hors son corps. Les hommes passaient, mais ce n’était pas sur elle. Elle était bête, ils en profitaient, c’était la règle.

« Bête » est un euphémisme… elle était en fait d’une connerie abyssale. Même pas con comme la lune, puisque parfois, même la lune brille. Disons pour simplifier que dans une fourchette de 0 à 180 sur l’échelle du QI du plancton, elle devait se trouver assez proche du moins 80. Mais ce n’est pas une raison.


Si.


Elle eût son 3ème rejeton après la visite du tout premier huissier à passer chez elle, mais pas le dernier à fuir le fruit de ses exploits.

Elle avait voulu l’appeler Claude, mais la différence entre un « C » est un « G » est infime au-delà de 3 grammes (c’est la raison pour laquelle il faut toujours être attentif quand on passe son code <= celle-là, faut réfléchir). L’officier de l’état civil n’avait pas son permis. Elle s’était dit en conséquence que le prénom de tous ses futurs enfants commencerait par la lettre « G », afin d’assurer le coup et d’éviter toute autre mauvaise surprise.


Le Glaude fut donc suivi au gré des visites du facteur, de l’employé du gaz, des voisins, des huissiers ou du curé, par ses frères Gaël (dit « la Hyène »), Guillaume, Guy « l’anguille » et Gabriel, indéniablement le plus laid, mais aussi le moins porteur de la déficience intellectuelle maternelle. Physiquement, il aurait pu être le croisement passé au mixeur d’un pou et d’une ornithorynque fécondée par Démis Roussos. Intellectuellement, il n’avait pas de quoi devenir ingénieur chez Mac Do, mais au contraire de ses frères, il pressentait confusément que se servir du presse-ail comme tire-comédon, c’était mal.

Elle pensait à celui qu’elle portait en son ventre, un garçon, elle en était certaine, qu’elle appellerait Gastro.


Elle souriait.


C’était le 14 juillet 1950. Ce matin là avait été difficile en raison d’une nuit nombreuse et acrobatique. Paradoxalement, elle était vidée d’avoir été remplie. Malgré cela, elle était sortie le soir faire la fête, pour faire comme tout le monde pour une fois, puisqu’ils avaient l’air heureux. Elle rencontra le Ghislain, le fils du cantonnier à côté duquel elle passait pour une énarque, qui lui dit :

« j’ai perdu ma brouette »

« Ghislain, je t’ai déjà dit qu’on dit gourmette, et pas brouette » s’empressa-t-elle de l’aider à chercher.


Elle ne comprit pas tout de suite ce qui lui arrivait, elle sentit juste le froid de l’air sur son corps, la douleur dans son ventre. La pluie de coups arriva peu après qu’il ait joui. Pourquoi crier ? Qui peut comprendre qu’une pute se fasse violer ?

Elle ne sait plus depuis combien de temps cela s’est arrêté.


Juste, elle souriait.


« ça me gratte de l’intérieur, comme une infection ovarienne version oursins »


 Gastro ne connaîtrait pas ce monde.


 Elle souriait vraiment, maintenant.


 Au son sourd des flon-flons lointains, des rires et des pétards, elle s’efforça de deviner le reflet vague de son premier vrai sourire dans la flaque rouge qui s’étendait lentement sous son visage. En vain.

 
Un éclair. Une série de ronds minuscules sur la flaque.


« manquerait plus qu’il pleuve » dernier soupira-t-elle.

Publié dans Défis

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R
Je vais revoir tous mes votes... j'y comprends plus rien, c'est vraiment un jeu à la con !
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R
Non c'est le mien a moi, tin si j'avais le temps, je verserais une larmichette pour ce pauvre Gunther, mais je dois aller au cathéchisme....
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J
Après moult réflexions, je pense que c'est l'un de nous.
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L
Mrs_D, sans aucun doute.
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S
(ou alors Raimbaud mais j'ai déjà voté pour lui. <br /> Je vais aller recompter mes votes, avec les risques historiques que cette activité comporte...)
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